H : Hache

La hache

Cet outil que j’ai appris très jeune à manier me permet de me souvenir d’un épisode que le jeune collégien que j’étais s’est mis à considérer comme glorieux.

Lorsque j’étais en sixième, mes amis du collège sont venus me voir à vélo. A la maison, mes parents leur ont expliqué où j’étais : je gardais le troupeau que j’avais emmené à deux kilomètres de là, dans un pré à flanc de coteau sous Magnagues, mon village natal. Ils ont réussi à me retrouver bien que les chemins du causse constituent un peu un labyrinthe pour ceux qui n’y sont pas habitués.

Je ne sais comme l’idée est venue mais nous avons décidé de construire une cabane ou plutôt une hutte de branches comme nous en avions rencontré la description lors de l’étude d’un texte en cours de français.
Nous avons choisi la large haie plutôt touffue qui séparait le haut du pré du chemin d’accès. Pour notre construction, nous devions abattre trois ou quatre jeunes arbres dont le tronc avait environ une douzaine de centimètres de diamètre. Plutôt petits donc. A tour de rôle, mes camarades se sont emparés de l’unique hache dont nous disposions (la mienne en fait) : une petite hache au manche assez court, très maniable pour le nettoyage des haies ou des branches d’un arbre abattue mais pas très adaptée pour l’abattage. Laborieusement, ils ont entrepris le travail imitant les gestes aperçus sur des photos sans doute. Sous leurs coups, la lame entrait à peine, écorchant le tronc de fins copeaux. Bien sûr, dans leur esprit, ce fut tout de suite la faute de la hache inadaptée à cette tache ! Lorsque vint mon tour, je frappais deux fois et j’avais fait une entaille atteignant déjà le cœur du tronc. Après le troisième coup, il nous a suffi de tirer un peu sur le tronc, du haut de notre taille, pour faire chuter l’arbre.

Ce jour-là, j’acquis à leurs yeux une aura particulière parce que j’avais un savoir-faire qui les dépassait totalement. Ils eurent beau essayer, même avec la position plus confortable donnée par l’arbre au sol, ils ne parvinrent jamais à mon efficacité. Je ne pense pas leur avoir parlé d’expérience (ou d’entraînement) mais la démonstration se suffisait à elle-même : je possédais une compétence dont ils étaient démunis et qu’ils étaient encore loin de maîtriser.
De mon côté, j’appris aussi qu’il était des domaines où j’en savais beaucoup plus que les autres alors que je me considérais comme un ignorant des "choses de ce monde". C’est peut-être là que j’ai aussi acquis un autre savoir : chacun a des incompétences mais aussi des compétences : il suffit de les connaître pour, déjà, être mieux dans sa peau.